« Le vin […] c’est un point de rencontre, un lien entre les gens »

Les Ignorants, Etienne Davodeau, Futuropolis, 2011

Au premier abord, quel point commun existe-t-il entre un vigneron et un bédéiste ? Peu de chose me direz-vous. Le premier élabore du vin, tandis que le second crée des bandes-dessinées. Mais la littérature peut faire bien des merveilles. Etienne Davodeau nous le prouve. En transformant les personnes en personnages une rencontre a lieu, et en assemblant leurs caractères un bouquin est édité ! Exprimé ainsi, cela relève plus de la magie qu’autre chose… Cependant, Les Ignorants est du côté des humains et non des magiciens. C’est même  le centre du propos : les relations humaines. 

Le récit d’une initiation croisée

Plus qu’un assemblage, c’est un parallélisme qui nous est proposé. Nous nous apercevons vite que la création littéraire suit le cycle vitivinicole, et que le bédéiste construit sa narration selon le rythme de travail du vigneron. La bande-dessinée, quant à elle, se conclut sur la dégustation du vin de Richard Leroy et l’édition des Ignorants. Ce parallèle est mis en scène afin de montrer ce chacun apprend du monde de l’autre. En fait, il s’agit de la stricte application du sous-titre de l’album Récit d’une initiation croisée

Dans cette initiation il y a certes les héros -Richard Leroy et Etienne Davodeau, mais il y a également nous, les lecteurs, qui suivons chacune des étapes narrées. Nous sommes même les témoins de l’évolution que connaissent protagonistes. Nous voyons l’écrivain pénétrer dans la propriété viticole de Richard Leroy, et devenir un expert en dégustation. En même temps nous assistons à l’épanouissement littéraire du vigneron grâce aux conseils de lecture de son interlocuteur.

Ces évolutions font des Ignorants une sorte de « roman d’apprentissage », tant pour ses acteurs que pour les lecteurs. Nous-mêmes sommes des ignorants avant d’ouvrir le livre. Puis, comme les personnages, nous suivons leurs enseignements.

Personnellement, j’ai beaucoup appris au fil de pages, et tant sur la réalisation d’une BD que sur la production de vin. Je pense que cela est dû à la manière dont les éléments sont décrits, ainsi qu’aux vignettes dans lesquelles ils sont insérés. Les explications sont claires, précises, et présentées en contexte. Elles ne pourraient être plus concrètes. De plus, les illustrations qui les accompagnent sont de toute beauté. Elles prennent parfois des allures de peintures à l’huile ou d’aquarelles, notamment pour les paysages de vignes… Notre lecture reste en suspens un instant pour contempler les tableaux qui s’offrent à nous. Notre mémoire en profite alors pour imprimer l’image et ses explications à jamais…

C’est la raison pour laquelle, il me semble que cet ouvrage convient parfaitement pour faire connaître les mondes du vin et de la bande-dessinée. Déjà ne serait-ce que par le scénario. Puis, un peu à la manière d’une fable, Etienne Davodeau allie plaisir et instruction pour son propos. Néanmoins, il ne faudrait pas voir dans Les Ignorants qu’une visée pédagogique.

L’intention artistique est avant tout de révéler des hommes et leur passion. Et comme dans bien des aventures… de la passion naît une relation ! Parce qu’au-delà de l’album en lui-même, le produit de l’entente entre ces deux individus est la naissance de leur amitié. La déclaration de Richard Leroy prend alors tout son sens : « Le vin[…], c’est un point de rencontre, un lien entre les gens ».

Des ignorants aux humains  

 Nombre de dialogues, d’instants de bonheur et de partage sont impulsés avec l’ouverture d’une bouteille de vin. Convivialité et partage s’ajoutent à la liste des mots-clés de la BD. Et d’ailleurs, nous lecteurs, nous le ressentons. L’auteur étant aussi le narrateur et un protagoniste, l’œuvre relève de l‘autobiographie. Cela renforce dimension humaine du discours. En ayant à l’esprit, que chaque vignette témoigne d’un moment précis vécu par Etienne Davodeau, nous nous sentons plus proches du vigneron et du bédéiste. Cela renforce l‘authenticité du récit, et augmente la proximité qui existe entre nous et ces hommes dessinés sur les pages que nous contournons une par une. Intégrés dans ces instants, plus que des témoins, nous devenons les seconds invités d’Etienne Davodeau et de Richard Leroy. Nous partageons leurs découvertes, leurs discussions, leurs taquineries… nous dégustons les vins avec eux, rions avec eux, attisons notre curiosité en même temps qu’ils satisfassent la leur… L’ambiance conviviale décrite s’émancipe de son support papier et se diffuse dans notre monde réel.

La littérature n’est pas le seul moyen d’élargir notre champ des possibles. Nous pouvons y parvenir dans notre réalité, et le vin peut y aider! Les Ignorants nous montre l’exemple en nous invitant à nous attabler, ouvrir une bouteille de vin et nous laisser nous emporter par les univers de nos interlocuteurs… Ce n’est qu’en apprenant à connaître l’Autre que nous pourrons nous émanciper de notre ignorance et rejoindre l’humanité.

P.W. 

Scans des illustrations du livre – Pauline

Référence du Livre : Etienne Davodeau, Les Ignorants, édition Futuropolis, octobre 2011, 268p.